Spécialiste en audiologie, Sylvie Hébert explique ce que sont les acouphènes, ces bourdonnements, silements et sifflements qui font la vie dure à de nombreux Québécois dans son nouveau livre, Acouphènes. Elle démystifie ces troubles auditifs et souhaite que plus de prévention soit faite auprès des jeunes pour éviter des dommages irréversibles lorsqu’ils sont exposés au bruit excessif.
Sylvie Hébert, professeure titulaire en audiologie à l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal, rappelle qu’entre 10 et 15 % de la population est aux prises avec des acouphènes. « Avec les nouvelles habitudes de vie des jeunes qui écoutent de la musique très forte avec les appareils portatifs, on peut s’attendre à ce que ça augmente. Ce n’est pas un phénomène rare », prévient-elle, en entrevue.
Avoir un acouphène, c’est entendre des bruits, des sons, des bourdonnements, des sifflements dans les oreilles ou la tête sans qu’il y ait du son à l’extérieur. « Il n’y a pas de source sonore qui explique le bourdonnement qu’on entend. Ça se déplace avec nous, et c’est perçu par nous seulement. Les autres ne s’en aperçoivent pas. »
Certaines personnes sont plus à risque, étant donné leur exposition au bruit, comme les travailleurs de la construction, les militaires, les chasseurs et les musiciens. « Le facteur qui va prédire le plus la présence d’acouphènes, c’est la perte auditive. Avec l’âge, la probabilité augmente de développer des acouphènes. »
« Vieilles oreilles »
Jusqu’à récemment, les personnes âgées étaient les principales concernées, mais les jeunes sont en train de se créer des problèmes auditifs qui n’existaient pas avant. « Ils ont comme des vieilles oreilles. »
Il est à prévoir que, dans quelques années, ces jeunes auront des problèmes « majeurs et irréversibles, dit la spécialiste. Ça se développe avec le temps et ce n’est pas toujours visible immédiatement, sauf quand quelqu’un est exposé à de la musique très forte, dans une discothèque ou un bar, par exemple. Quand il va sortir, il va avoir des bourdonnements et une perte auditive transitoire, temporaire, qui va disparaître quelques heures plus tard. Mais ce sont des signes qu’il y a des dommages qui se font. »
« Avant, on pensait qu’ils étaient réversibles, et que l’audition revenait, mais depuis quelques années, des chercheurs ont démontré que ça ne revient pas tout à fait. Ça crée des dommages qui sont subtils, et qui vont se développer dans le temps. Les appareils auditifs vont aider à restaurer un peu l’audition, mais ça ne revient jamais aussi clair qu’une audition normale. Une fois que les cellules sont endommagées dans l’oreille interne, ça ne revient jamais et on n’a pas trouvé encore un moyen de les régénérer. »
Détresse psychologique
Sylvie Hébert ajoute que les acouphènes sont une source de détresse psychologique pour 1 à 2 % de la population et ces personnes ont besoin de soutien thérapeutique par des audiologistes. Elles sont parfois dirigées vers des psychologues.
« Il y a un deuil de silence à faire. Pour des gens qui ont des acouphènes chroniques, c’est ça le drame : la personne dit, “mon dieu, je n’entendrai plus jamais le silence”. C’est une condition chronique. »
Sylvie Hébert note que le cerveau va éventuellement oublier les acouphènes, mais que la situation reste. Elle s’attend à une recrudescence de cas, avec la crise de la COVID-19. « On sait que le stress et le bruit sont deux facteurs qui ont indépendamment une influence sur l’apparition d’un acouphène. Plus une personne est exposée à du stress intense, par exemple au travail, plus elle a de risques d’avoir des acouphènes. Même chose pour le bruit. »
- Sylvie Hébert est professeure titulaire en audiologie à l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal.
- Elle a publié des études pionnières sur l’évaluation psychoacoustique et les comorbidités des acouphènes, en particulier sur le stress et la détresse psychologique en lien avec les acouphènes.
Article par Marie-France Bornais, Journal de Montréal
Samedi, 13 juin 2020
https://www.journaldemontreal.com/2020/06/13/demystifier-les-acouphenes